N’étouffons pas la flamme sacrée allumée par Bouazizi sous les clameurs des discours politiques.

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Il n’est pas réaliste ni digne d’un intellectuel qui se respecte, qu’en période exceptionnellement révolutionnaire, il se mette à discourir sur un mode abstrait,  à caractère philosophique. Mais j’estime que moi aussi, j’ai le droit à la libre expression.

Considérant comme étant de  mon devoir de dire une parole que j’espère souverainement orpheline, (pour reprendre ce grand penseur maghrébin Abdelkebir Khatibi,) je me dois d’affirmer, en toute lucidité, que ce que nous venons de vivre, durant les années Ben Ali, il est impérieux qu’on l’analyse non pas en usant de la liberté d’expression pour seulement désigner des coupables, mais de le passer au crible de la pensée critique.

Pour le moment je prends la parole, que la révolution m’offre, pour dire que je ne compte pas me substituer aux déshérités et aux différentes catégories de victimes de la tyrannie, qui chacune  à partir de sa fonction sociale spécifique, ont dû subir soit l’abandon, l’indifférence, le racket, la spoliation ou bien tout simplement les effets destructeurs de la langue de bois.

Je ne suis porteur que de ma parole propre et je ne suis donc le porte parole d’aucune personne. Je laisse cela à mes amis poètes et à ceux qui se proposent d’être les représentants d’une révolution qui a surpris tout le monde dans le monde entier.

Peut-être même, y compris celui dont le sacrifice radical de soi, sur l’autel de la dignité, a provoqué  le séisme qui vient de mettre à bas un régime qui se croyait fort de ses différentes polices, de ses différentes milices de ses différentes familles et de ses différents clients.

Car le geste que l’on dit désespéré du jeune Mohamed Bouazizi n’est pas un geste politique. Il est plus que cela. Il est l’expression  tragique de son refus radical de l’indignité qui venait de le frapper dans son amour propre.

En s’immolant par le feu, Bouazizi a signifié qu’une vie humaine sans dignité n’en est pas une. En tant que tel ce geste d’une violence salvatrice inouïe a atteint, par la densité de son expression, le seuil du sacré. Ce sacré que la majorité de notre peuple a refoulé, et que l’idéologie dominante (celle du pouvoir et de ceux qui s’opposent à lui) a remplacé par une « piété » de circonstance commune au bâtisseur de la Mosquée de Carthage  dédié aux « Abidines » dont il estimait être le « Zine » et à Rached El Ghanouchi ce professeur de philosophie converti en cheikh politique.

Et le sacré  quand il prend une dimension humaine cela se présente sous la forme symbolique d’un Hallaj ou d’un Messie sur sa croix, d’un Ismail consentant au sacrifice de sa vie, d’un prêtre bouddhiste vietnamien, d’un Yan Palash  ou bien  d’un Mohamed Bouazizi, s’immolant tous par le feu.

Le geste de Bouazizi n’est donc pas inédit mais sa signification l’est. Il s’agit, dans son « œuvre » d’irruption du sacré de là où l’on ne s’attendait pas, dans une société outrée, dans son ensemble, par l’indécence insolente d’un Sakhr EL Matri, avec  sa banque et sa radio,  toutes deux voulues islamiques.

La dignité est le propre de l’être humain. Elle est collective, indivise, comme la liberté. Elle est le fondement même de l’expression humaine du sacré qui réhabilite l’homme dans sa condition divine d’Origine.

Contrairement aux interprétations en cours le  geste de Mohamed Bouazizi  n’est pas le résultat du sentiment de désespoir d’un jeune chômeur  qu’il soit  diplômé ou pas. Sa signification  comme émergence du « sacré » ne peut donc être ni politisée ni dupliquée, sans être altérée et ensevelie sous les discours  mensongers des politiciens opportunistes et  des poètes orgueilleux.

Comme toute œuvre d’expression humaine, fondamentalement, elle devrait être préservée des retombées nécessairement politiques  qu’elle a provoquées et qui portent elles aussi la marque d’un sacré diffus qui donne sa légitimité à notre révolution populaire tunisienne dont la flamme de départ a été allumé à Sidi Bouzid.

Ce sacré diffus, aucun parmi nous ne peut prétendre en être le représentant. Il porte le peuple mais ne lui appartient pas. Le peuple donc ne peut le déléguer à un représentant sans risque de voir ce dernier se prendre pour  l’équivalent de Dieu sur Terre.

Dans les six prochains mois, nous devons, en tant que peuple, non pas élire un chef à une révolution qui ne peut en avoir un, mais profiter de cette  situation  authentiquement révolutionnaire , pour saisir la chance qui nous est donnée de construire un Etat de Droit  et une démocratie qui pour devenir exemplaire ne doit pas être idéale ou d’inspiration divine.

Nous n’aurons pas cette chance deux fois. Les mêmes causes apparentes ne produisent pas les mêmes effets. Il n’est pas certain, bien que nous l’appelions de tout cœur, que les peurs de nos voisins immédiats d’être contaminés par la révolution tunisienne soient justifiées. Les suicides par le feu, voulus au départ politiques, n’ont rien provoqué au sein des sociétés au sein  desquelles elles viennent d’avoir lieu. Comme tout geste  d’expression qui relève du sacré, le sacrifice de Bouazizi ne peut être dupliqué.

Soyons donc dignes. A la hauteur de cette dignité  divine, que cet humble et modeste jeune homme d’une ville qui porte le non mythique de « Abou Zid » nous a fait retrouver. Ne laissons pas nos politiciens de tous bords, nous priver de son souffle sacrée. Mohamed Bouazizi en est le « témoin ».

N’enterrons sa flamme sous les clameurs des discours politiques faits au nom d’une révolution  qui pour chasser les  marchands du temple de Carthage n’a pas eu besoin de leaders. L’indécence de l’insolent gendre du dictateur s’adressant à ses collègues députés quelques heures avant qu’ils ne soient tous balayés par le peuple n’a d’équivalent que celle d’un exilé politique qui a semblé, à l’aéroport de Carthage, vouloir se prendre pour Bourguiba débarquant, en Juin 1955, à La Goulette.

Ne faisons pas comme les dictateurs et ceux  qui en sont les projets, ne transformons pas l’hommage à nos martyrs en spectacle et faisons les vivre dans nos cœurs pour qu’ils demeurent à jamais vivants.

Naceur Ben Cheikh

Une réponse

  1. zakaria
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    ce que je crois
    La nouvelle constitution, si elle a suscité la polémique et traversé tous les clivages sociaux, si elle a mobilisé les esprits des plus avertis jusqu’aux moins initiés, elle n’a pas fini de nous mobiliser
    Les projets de constitution vont des plus finement élaborées « projet de doustourouna», jusqu’aux plus fallacieux viciés et incohérents « ennahda , . » dont la lecture méticuleuse relève de la torture de l’esprit . pour saisir l’occasion d’en parler, ce texte contient la chose et son contraire .
    En dépit de la qualité incontestablement référentielle du projet Doudtourouna dans ses moindres détails, fruit d’un grand labeur entrepris par l’éminence grise de la nation, je reste encore insatisfait.
    Peux mieux faire … peut beaucoup mieux faire !

    Dans ce qui suit, je m’en tiendrai à ce seul projet réellement le meilleur. J’essayerai de formuler les critiques de nature à continuer le débat.

    Remarques préliminaires
    Cette troisième élaboration de constitution en moins de deux siècles , nous rappelle que les deux dernières venaient répondre à un fait historique . Celle de 1961 découle grossièrement d’un raz le bol du poids insupportable des taxes. Ce poids imposé résulte d’un trou dans le budget crée par la perte de recettes de la piraterie. Jusqu’alors la piraterie en mer méditerrané était encouragée par le pouvoir qui prélevait au passage des droits sur les biens mal acquis. Subitement elle fut interdite par les accords forcés avec l’Europe. La constitution mort-née limitait le pouvoir.
    La deuxième constitution a été inspirée par le fait historique de l’indépendance et devait répondre également au souci dominant à l’époque : couper avec l’occupation. Cela explique la raison de mettre en premier article l’identité nationale qui se détache définitivement de la France.
    La présence de la langue arabe, la présence de la religion musulmane dans cet article premier de 1959 se gardait d’utiliser le terme appartenance. Ce point est capital. Il sera amplement développé et remis dans son contexte historique. Appartenance n’est pas adoption.
    La troisième constitution vient après une question de taxe excessive déguisée. la famille royale trabelsi faisait mieux que le 1/3 .. C’est le fameux fifty- fifty qui a ruiné l’économie. Et poussé a la révolte. C’est la lame de fond. Je persiste à dire que le ralliement de la classe intellectuelle à la révolte est issu de la Mounachada …insultante. c’est la deuxième raison de la révolte : le pouvoir à vie. L’exemple de la Corée du nord, exporté au Congo puis en Syrie a manqué de peu l’Egypte et le Yémen. il allait toucher la Tunisie.. L’élection à 97 % de père en fils …
    Il est donc un fait historique qui précède la nouvelle constitution. Tous les partis s’accordent aujourd’hui (hormis les nahdhaoui qui prônent le Morchid suprême et al tahrir la khilafat) à dire que la constitution doit s’éloigner du régime présidentiel.
    L’article premier dans l’ancienne et le projet de la nouvelle constitution divise la société tunisienne
    . A bien regarder … les causes historiques de cet article (l’indépendance) ont changé mais pas disparu !
    En effet il y a insidieusement un glissement volontaire du sens implicite de l’ adoption de l a langue arabe et de la religion musulmane vers un sens éminemment colonialiste et est contraire a l’indépendance durement acquise et très durement conservée : l’appartenance !
    Avec cet article vicié nous perdrons notre indépendance et un Morchid dans mille ans ou dans 10 mois pourrait apparaitre au Koweït à Qatar , a taief ou a Qom pour nommer nos ministres !….
    A suivre ….

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