Pour Abir Moussi, la continuatrice méritante de la résistance politique actualisée, du Grand Bourguiba
Soyons réalistes et sauvons le pragmatisme politique de la sophistique dont nos chroniqueurs autorisés se gargarisent à longueur de journée, en se donnant des airs et en faisant semblant de commenter, au quotidien, la réalité tunisienne d’aujourd’hui. Soyons réalistes et rappelons nous l’évidence que l’histoire ne se répète jamais et que ses moments qui semblent découler de l’éternel retour du même ne sont jamais les mêmes. Soyons réalistes et pragmatiques pour observer que ce qui s’est passé le 14 janvier 2011 est un moment de rupture, quelles qu’en soient les causes et la nature des événements qui en ont été les effets. Parmi ces effets passionnément vécus comme une libération, la liberté d’expression, amplifiée à volonté , par sa démocratisation par les réseaux sociaux . Démocratisation que d’aucuns trouvent sournoise. Car la liberté d’expression n’a de valeur libératrice que si elle émane de la liberté de penser.
Et toute personne douée de raison sait que penser ce n’est pas « réfléchir » le réel sans prendre en considération le mode et le média à travers lequel on va le réfléchir. Média est entendu, ici comme désignant les mots avec lesquels on couvre le réel pour le rendre visible. Penser c’est surtout penser la pensée et c’est là la condition d’émergence, au sein de l’individu de ce que l’on appelle la libre pensée. Car la pensée libre n’est pas la pensée débridée produite par une raison souvent instrumentalisée qui transforme le rationnel en rationalisme ignorant de ses fins et de ses limites.
Soyons donc réalistes et pragmatiques, et disons qu’une pensée libre n’est jamais figée et absolue ni subjuguée et intéressée par la réalisation d’un but défini. Une pensée libre est une pensée capable de changement et d’évolution par ses propres moyens. Comme la réalité qu’elle réfléchit doublement, c’est à dire d’une manière toujours critique. Parce que guidée par le sens de la vérité qui est une trajectoire infinie et non un lieu de fixation où l’on risque de se laisser transformer en demeuré, victime de sa pensée butée.
Soyons réalistes et observons aussi que tout homme politique sensé ne peut qu’adopter un point de vue qui en se déplaçant trace une ligne, souvent courbe, ondulante, zigzagante qui serait proche d’une piste et la plus éloignée possible des autoroutes de la pensée unique. On ne dessine pas une ligne en ponctuant le support d’une suite infinie de points, comme le laisse croire le métaphysicien dans sa définition de la ligne, mais en laissant trainer la pointe de son crayon sur ce support, en y inscrivant la trace de son mouvement par lequel il dé-couvre la réalité future qui n’est autre que l’invisible recouvert sous les discours idéologiques qui se contentent de rapporter et même d’enregistrer ce que l’on voit, sans redoubler sa réflexion. Notre cerveau n’est pas un miroir, mais un miroir pensant qui réfléchit doublement tout ce que lui rapportent nos sens. Se limiter à être un cerveau réflecteur sans être réfléchissant c’est renoncer à son humanité et se laisser régresser au rang d’un animal sauvage ou domestique.
De ce point de vue d’artiste, voulu peu politiquement efficace, non rentable sans « parti pris », je déclare en toute réalité que le seul parti transformé (et non fondé) par Abir Moussi peut prétendre qu’il est issu de la rupture du 14 Janvier 2011. Sans cette rupture, et la libération de l’initiative politique qu’elle a provoquée, Abir Moussi n’aurait jamais existé en tant qu’activiste de premier plan sur la scène politique tunisienne.
Tout parti est le produit de son mode de production. Quitte à ce que je choque une bonne partie de ses adhérents, je déclare que le PDL n’est pas le lieu dans lequel sont venus s’agglutiner les hordes nostalgiques ou revanchardes d’un parti instrument de pouvoir, arrivé à son terme et désormais faisant partie de la petite plutôt que de la grande histoire. Le propre de l’homme d’action c’est la capacité d’auto changement dont il fait preuve, au niveau de son approche du réel, qui n’est jamais le même. Beaucoup de politiciens amateurs, souvent opportunistes ou idéalistes ne savent pas que changer de vision constitue un des droits fondamentaux de tout homme politique. Et changer sa vision, face à une réalité nouvelle, est un acte intelligent qui témoigne de la lucidité de son auteur. Changer de veste ou de peau n’est pas retourner sa veste ou retourner sa peau. Le serpent mue et le caméléon change de couleurs pour différentes raisons. Cela ne participe pas de l’opportunisme qui consiste à s’enduire le visage de la couleur de celui qui est au pouvoir. Que Abir désigne par les positions des « Allah soutient celui qui est au pouvoir ». الله ينصر من صبح
J’affirmais donc, en toute réalité, que tout parti politique est le produit de son mode création (de production). C’est ce qui a fait, dans le passé récent la différence de qualité entre le Parti Destourien de Thaalbi et le Néo-destour de Bourguiba, alors que tous les deux se sont appelés Le Parti Libéral Destourien. Beaucoup de gens ne savent pas que le Néo-Destour est une appellation d’historien et de journaliste et que Bourguiba n’a pas créé un nouveau parti en 1934, mais a transformé un vieux parti en un nouveau, radicalement différent, créant une rupture qualitative dans le déroulement historique de la lutte nationale pour l’Indépendance. (Pour ceux qui veulent en savoir plus sur cette question je les revoie à une analyse que j’avais faite en 1984 à l’occasion de cinquantenaire du Néo-Destour, sur les colonnes du quotidien l’Action dont j’étais l’éditorialiste et que j’ai réécrit et partagé sur mon blog naceur.com sous le titre de « La révolution tunisienne sera bourguibienne ou ne sera pas »).
Revenons à présent à Abir (en ignorant objectivement la parenthèse Ben Ali et le vieillissement du Néo-Destour accompagnant le vieillissement de Bourguiba) tout en étant vigilant pour ne pas prétendre que Abir est l’héritière de Bourguiba, même si elle est sa petite fille symbolique . Bourguiba se savait exceptionnel et disait souvent : On ne succède pas à Bourguiba. Mais il est vrai que par certains aspects Abir se révèle au fil des semaines, des mois et de ses six ans d’existence en tant que Cheffe du PDL, une jeune Leader d’un nouveau combat de libération nationale et de résistance pacifique qui est totalement différent de celui qu’a mené Bourguiba durant la période de lutte pour l’Indépendance. Abir n’est pas à l’origine de la rupture du 14 janvier 2011 dont Bourguiba est l’inspirateur objectif, mais elle est la seule personnalité politique qui en a fait un véritable tournant dans les différentes péripéties qu’a connu le parti destourien après son accès au pouvoir à partir de 1956. Sa rupture , Abir la fera au sein du parti moribond qu’elle a hérité du vieux félon qui a passé les dernières années de sa vie à mendier auprès de Hamadi Jbali qu’il lui renvoie l’ascenseur. Elle sera claire, lucide, et décidée pour se tailler en quelques années une vocation de leader politique bien de son temps. Alors que tous les partis qui ont gouverné durant cette triste période des 11 dernières années ainsi que les partis qui se disent opposants de gauche, sont tous de vieilles formations politiques dont la logique de leur approche a perdu toute légitimité après la disparition du régime Ben Ali auquel elle faisaient pendant.
Pratiquer au quotidien la résistance politique en transformant radicalement les moyens de la nouvelle lutte de libération nationale n’est pas donné. Cela est plus que tentant pour dire que Abir Moussi pourrait prétendre à la dignité d’être la continuatrice, en un temps autre et pour un avenir autre du Grand Bourguiba dont le Peuple Tunisien, dans son ensemble, est l’héritier légitime.
Naceur Ben Cheikh le 19 octobre 2022 à 23 h 43.
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