Le peintre doit se sentir concerné par la finalité de son oeuvre. (Tunis 1972)

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l’Action : vous avez participé au colloque sur les styles contemporains des Arts Plastiques arabes. Quels sont les conclusions à tirer de ces rencontres?

NBC : L’essentiel ne réside pas seulement dans les résolutions prises par les participants, lors de la dernière séance du colloque mais aussi dans la clarté avec laquelle les problèmes ont été posés. Pour une fois, nous avons dépassé la polémique de telle façon qu’une décantation s’est faite d’elle-même, basée comme elle l’était, sur une méthodologie historique.

L’un des constats les plus immédiats, révélés par cette décantation a été le dépassement irréversible d’une certaine manière de voir et de concevoir la peinture et l’acte de peindre.

Cette méthode historique, utilisée par la majorité des participants ayant présenté des communications, a permis, par exemple,de remarquer que les phénomènes inhérents à la situation d’acculturation qui était la nôtre et qui nous empêchait de nous voir avec nos propres yeux, cette situation est commune à tous les pays arabes .

De même, nous avons pu  observer naître une conscience nouvelle et une volonté d’assumer nos propres valeurs, en vue de dialoguer avec l’Autre pour reprendre la formulation de Abdallah Stouky (Maroc). D’autres problèmes  ont été posés aussi et ont trouvé leurs solutions heureuses avec l’accord de tous les participants, en particulier celui de la fonction de l’Art et la situation de l’artiste dans la société. Cette dernière question, pourtant fondamentale,  n’a jamais été posée d’une façon aussi radicale. Déjà, dès le début du colloque, Monsieur Chedly Klibi, Ministre de la Culture a orienté les discussions dans un sens constructif qui, tout en reconnaissant l’indépendance, l’unicité et la spécificité propre de la création artistique, tiendraient compte de la dialectique matérialiste  des conjonctures qui président à notre destinée.

L’Action : Comment se sont déroulés les débats  sur le rôle de l’artiste dans la société ?

NBC : Il y a deux tendances . La première, voulait que l’artiste se mette au service de la société dans les sens le plus immédiat et appelait par la même à un engagement littéraire et extra-pictural de l’acte même de peindre. On comprend fort bien cette façon de voir les choses, vu l’acuité des problèmes  dans lesquels se débat la société arabe contemporaine .

La seconde tendance consistait à considérer la création artistique comme un facteur dynamique de remise en question du réel, ce qui n’est autre chose qu’un engagement plus efficace et qui  ne va pas dans le sens du constat de ce qui est mais plutôt dans  celui de l’Histoire.

L’Action: D’après vous, quel est le rôle de l’artiste dans la société et l’acte de peindre n’est)il pas ,en soi, un engagement de la part de l’artiste ?

NBC : Justement, le résultat de cette confrontation entre les deux tendances auxquelles j’ai fait allusion, a été du côté de la deuxième. En effet, la première des motions votées allait dans ce sens : le meilleur service que pourrait rendre l’artiste à la société c’est de bien faire son travail .
A mon avis le peintre doit se sentir concerné par la finalité de son oeuvre et doit la considérer comme une partie  intégrante de soi-même et à travers laquelle il doit se définir.

L’oeuvre d’Art est essentiellement un produit de l’homme, dans ses dimensions : biologique et intellectuelle.L’acte de peindre quand il est entièrement assumé, constitue un engagement dans le sens le plus profond de la condition humaine.

L’Action : Etes vous  pour un mouvement  artistique à l’échelle maghrébine ? Et pourquoi?

NBC : Sur le plan pratique ,cette idée me semble fondée. C’est pour cette raison qu’elle n’a cessé de revenir avec insistance ces dernières années, à l’esprit des peintres et des critiques maghrébins .Ce n’est pas un hasard si une exposition a eu lieu  en 1967 à Tunis et sous ce titre . Vous-mêmes et il n’ y a pas longtemps , à l’exposition de Séhili , vous avez appelé à un regroupement  artistique à l’échelle maghrébine . A mon sens, ce regroupent ne pourrait être efficace et fructueux que dans le cadre d’une affinité d’options de base et de confrontation enrichissante . Cette confrontation pourrait avoir lieu aussi bien entre peintres  qu’entre critiques

A ce propos, on ne saurait jamais insister assez sur la nécessité de l’élaboration d’une théorie sur l’art, aussi bien au Maghreb qu’au  Machreq, comme l’a signalé d’ailleurs Mohamed Aziza , dans sa communication . Ceci m’amène à revenir sur un autre acquis du colloque , à savoir l’enrichissement de chacun des participants, par l’apport de l’autre . A titre d’exemple, j’ai remarqué une complémentarité manifeste entre mes recherches théoriques et celles de Abdallah Stouky (Maroc) Mohamed Aziza et relativement avec Mohamed Khadda (Algérie).

L’Action : Citez les noms de cinq peintres tunisiens, algériens et marocains qui peuvent représenter  un futur mouvement artistique maghrébin.

NBC :  On peut déjà remarquer une affinité de tendances à un niveau de signification au second degré, entre une certaine peinture existante dans chacun  des trois pays  et qui se veut universaliste , tout en tenant compte du patrimoine dans le sens le plus large du mot: artistique, humain, écologique et spirituel.

Pour ce qui est des noms, je citerais volontiers  Séhili, Belkhodja, Aly bellagha, El Bekri et moi-même, sans pour autant revendiquer une exclusivité quelconque de la notion maghrébine.

Parmi ceux que je connais en Algérie,Mohamed Khadda, Ben Anteur, Abdelhamid Ben Bella et le groupe Aouchem, pourrait répondre très largement à cette appartenance . Pour le Maroc il y a à signaler la presque totalité de la jeune peinture dans ce pays, à commencer par Farid Belkahia, Melihi, Gharbaoui.

L’Action :  Quelles sont vos différentes périodes de recherche plastique ?

NBC : Je ne peux pas parler d’une rétrospective définitive de mes recherches. tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, c’est de me mettre  à l’école de l’expérimentation  des différentes possibilités inhérentes à la nature du matériau utilisé à des fins d’expression plastique  authentique. Cette recherche s’accompagne parallèlement d’un effort de compréhension du phénomène de la création artistique. Le résultat auquel j’ai pu arriver , en tant qu’artiste, ne me satisfait pas. Par contre, il m’a aidé à comprendre  le phénomène de l’intérieur.  La part de ce qu’on appelle la technologie de l’art, c’est à dire le faire dans la création artistique. Je comprends, maintenant un historien comme Focillon a terminé son traité sur la peinture par « un éloge de la main » et qu’un grand penseur contemporain a défini l’homme comme étant un animal ouvrier.

Ceci est très important pour  la compréhension de la spécificité d’une tendance  importante de l’école arabe contemporaine dont je prétends faire partie. Dans quelle mesure mes recherches graphiques ne sont pas conditionnées par les gestes séculaires du calligraphe? La part de l’instrument, la plume, le pinceau, ou le calame est , à mon avis, très importante. A ce sujet, je me dois de signaler que le dernier point inscrit à l’ordre du jour dub colloque, à savoir la question technique , n’a été abordée que d’un point de vue individuel. En vérité, elle est capitale. Sa discussion aurait pu être plus en profondeur et permettre aux participants d’étudier la liaison de l’art moderne avec les acquis de la technologie contemporaine.

L’Action : Pour en revenir à vos recherches plastiques actuelles, quel est le rapport des lignes qui s’enchevêtrent , pour donner un mouvement dynamique aux lettres arabes ?

le peintre doit se sentir concernéNBC : L’intention de récupération des lettres arabes, pour la création artistique contemporaine a effleuré une foule de peintres d’Orient et d’Occident . Pour ma part, il ne s’agit pas d’utiliser ces matériaux comme point de départ d’une recherche quelconque. J’estime que la calligraphie arabe traditionnelle doit être considérée dans la conjoncture historique qui  a présidé à sa naissance. La seule leçon que l’on pourrait tirer c’est  qu’elle a donné lieu à différents styles variés, ayant chacun  son unité propre. C’est qu’à l’origine, l’écriture arabe rejoint un certain ordre naturel des choses tout à fait comme celui de l’arbre qui pousse, des cellules biologiques, du corps humain, du monde animal et végétal aussi bien que d’un point de vue microscope  que macroscopique. Cet ordre naturel est la conséquence de l’unicité de l’impulsion interne originel. L’écriture arabe faisant partie de cet ordre, peut être utilisée pour tracer et figurer le monde de l’homme où se trouve imbriqué et le matériel et le spirituel. j’essaie de prouver  le bien fondé de ce que je viens d’avancer par une double démarche, pratique et théorique. A ce niveau, il ne s’agit plus d’abstraction ou de figuration, mais plutôt de concrétion et par la même je pense rejoindre l’universalité, en partant du geste calligraphique propre  à ma tradition culturelle.

L’Action :  Est-ce que l’Idée, chez vous précède le geste ?

NBC : Je ne suis pas le seul à croire que la fameuse définition de  Léonard de Vinci « la peinture est chose mentale » est dépassée. Il est vrai qu’elle a été d’une certaine création intellectualiste dans laquelle je pourrais inclure Raphael, Poussin, Mondrian et Belkhodja. Mais je peux dire que dans une large mesure, elle est le résultat d’une rationalisation et non pas  d’une participation . Or, comme je viens de l’expliquer, pour ce qui est de mes recherches personnelles , je suis pour une  participation consciente et un dynamisme assumé et par conséquent l’idée et le geste sont inexorablement liés dans mon acte de peindre.

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