la souveraineté de l’État n’est pas celle du pouvoir.

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Vers le milieu des années 80, sous le gouvernement Sfar, je crois, j’avais assisté, dans un hôtel de la capitale, à une conférence, donnée par Edgar Pisani,  à l’occasion d’une rencontre, autour du thème  » Politique et administration », dans laquelle, ce grand homme politique dont la  carrière  de grand commis de l’État, (le plus jeune préfet de France, après la Libération, sénateur, plusieurs fois ministres sous De Gaulle et Directeur de l’Institut du Monde Arabe à Paris jusqu’en 95), devait préciser qu’il était difficile de ne pas soumettre les administrateurs à l’autorité des politiques. Car, au cas où on laisserait faire les administrateurs, ils se transforment en pouvoir et constitueraient, une sorte d’état dans l’État. Edgar Pisani, qui est né à Tunis et y a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans, conseillait donc aux Tunisiens,  à un moment où la Tunisie commençait  à donner des signes d’instabilité politique, de ne pas trop dégager la gestion administrative de la tutelle de la gestion politique.

La question est redevenue d’actualité, depuis la proposition, par Hamadi Jbali, de former un gouvernement de technocrates, qui seraient chargés de parer au plus pressé en vue de permettre, au plus vite, l’organisation d’élections démocratiques, pour doter le pays d’institutions légitimes, capables de générer  la stabilité dont le pays a grandement besoin.

La remarque d’Edgar Pisani, pourrait nous faire comprendre les réserves  de certains politiques quant à la formation d’un gouvernement composé de technocrates « neutres » libres de toute obédience politique. Mais elle ne pourrait légitimer les résistances  opposées par la Nahdha à l’idée de « neutraliser « les Ministères de Souveraineté ».

Le manque de maîtrise en matière de communication politique dont font preuve les hommes politiques nouveaux qui nous gouvernent- et qui sont entrain d’apprendre sur le tas- ainsi que l’incapacité flagrante du Parti relativement majoritaire de se convertir en parti politique, font qu’il était objectivement difficile, à une classe politique dont la plupart de ceux qui la composent ne sont pas encore passés par l’épreuve de l’exercice du pouvoir, de ne pas comprendre qu’il  sagit  pour eux, d’une proposition qui consistait  à les neutraliser, en les remplaçant par un gouvernement  qui serait, paradoxalement, « a-politique ».

C’est qu’il s’agissait, en fait, non pas de doter le pays d’un gouvernement de technocrates et de compétences en matière de gestion politique, économique et sociale, auquel cas, un certain nombre de conseillers spécialistes aurait suffi, mais de protéger l’État des actions de détournement et de destruction préméditée dont il s’est avéré être l’objet, depuis sa prise en charge, démocratique, par une organisation d’opposition clandestine dont la pratique politique est entachée de terrorisme et de recours au complot contre la sûreté de l’État.

Le fait que la proposition de Hamadi Jbali ait, parait-il, révélé, au grand jour les divisions qui traversaient Ennahdha et qui ont été à l’origine du « non achèvement » de son premier congrès de parti politique autorisé, organisé après son accès au pouvoir, est plus important  à signaler, comme étant à l’origine de la crise, que l’échec de la proposition du Premier Ministre et Secrétaire Général du Parti majoritaire de la coalition au pouvoir.

En effet, l’immaturité politique des différents  clans du « parti » au pouvoir, dont une majorité  à caractère mafieux et terroriste,  est, à la fois  la cause et l’obstacle au  dépassement de la crise politique la plus grave de l’histoire de la Tunisie à l’époque moderne , depuis celle des années soixante dix du 19ème siècle.

Le fait que les résistances  à la proposition de Jbali se sont fixées autour des Ministères dits de Souveraineté, en dit long, sur le coup d’État rampant que Ennahdha a entrepris de réaliser, durant la seconde période de gouvernement de transition. Un coup d’État qui n’est pas dirigé contre le gouvernement ou le régime politique en place, mais contre l’État  lui-même, en tant que forme d’organisation sociale, dont on se propose d’en changer la nature et l’identité, par le recours au fait accompli, comme font les sionistes en Palestine.

Dès le départ, et bien avant les élections d’Octobre 2011, il y avait comme une sorte de flou conceptuel dans les déclarations politiques des prétendants au pouvoir, concernant la « Souveraineté » de l’État que Béji Caïd Essebsi a considéré comme prioritaire, pour un gouvernement de transition démocratique, chargé réaliser les « fins ultimes » de la Révolution. L’emploi de ce que j’avais traduit, par « l’Aura de l’État »- هيبة الدولة – par le Premier Ministre du second gouvernement de la période de transition, avait été à l’origine, d’interprétations à caractère « réactionnel » issues de la conscience « pré-politique » dont faisaient preuve ceux qui allaient accéder, quelques mois plus tard, aux commandes mêmes de l’État dont ils sont devenus les prédateurs. Confondant Aura de l’État, avec Autorité du pouvoir en place, ces interprétations « pré-politiques » allaient mener certains décideurs au sein de l’Organisation de la Nahdha  à  encore confondre État Souverain et Pouvoir Souverain et à attribuer au pouvoir, la Souveraineté de l’État.

Il faut donc rappeler à ces habitués au « noyautage sécuritaire » en vue de la prise de pouvoir par la force, que la Souveraineté des Ministères des Affaires Étrangères, provient de la nécessité , pour tout pouvoir de ne considérer que l’intérêt objectif de l’État, dans ses rapports aux autres, au sein de l’espace objectif d’échange et de coopération internationale et de ne pas laisser interférer des considérations politiques partisanes dans l’activité diplomatique. D’où l’on comprend aussi que la Souveraineté du Ministère de l’Intérieur consiste  à considérer cette institution comme Souveraine, par rapport aux considérations politiciennes, tout comme la Souveraineté du Ministère de la Justice, dont le titulaire est affublé, en France du titre de Garde des Sceaux. D’où l’on comprend enfin, la presque sacralisation de tout ce qui concerne la défense nationale (secret défense etc..), par tous les pouvoirs politiques qui sont tous à caractère  provisoire.

L’on se souvient du slogan qui avait envahi les pages Facebook d’Ennahdha, lors des premiers jours, après les élections d’Octobre 2011 et qui disait en s’adressant aux  » vaincus de la guerre électorale » traités de 0,00../100 que le peuple a reconnu son Souverain : لقد عرف الشعب من يسوده, oubliant que la fonction de « Sayed » se confond, dans la sagesse  musulmane  de la Tradition, avec « Serviteur. » سيد القوم خادمهم.

D’où l’on comprend, par ailleurs, ces références formalistes  faites par le clan de Ghanouchi, aux pratiques des partis majoritaires en Europe et en Amérique qui, après avoir remporté les élections placent leurs hommes  aux commandes des services vitaux de l’État.

Ce qu’ils oublient, ou font semblant d’oublier, c’est que pour ces vieilles démocraties, l’on distingue clairement « le politique » de « la politique ». Et c’est à partir de cette distinction fondamentale que les hommes de Parti se transforment, dès leur accession au pouvoir, en hommes politiques et les meilleurs parmi eux, se révèlent hommes d’État. Le Politique c’est ce qui permet l’entretien, la maintenance et la pérennité des Institutions qui garantissent la continuité de l’espace politique commun, dont le politicien n’est que le gestionnaire, par délégation limitée dans le temps. Le Souverain c’est le peuple, et celui-ci ne peut déléguer sa Souveraineté qu’aux institutions qui ne sont pas l’objet de concurrence politique pour l’accès aux postes de commandes de l’État.

Et, encore une fois, nous nous retrouvons face à des modes de penser archaïques dont  la vision politique qui est en est issue est vide de toutes références aux notions de démocratie, de légitimité contractuelle, de constitution, de pouvoir du peuple et de modalité de son exercice par ceux qui en sont les délégués.

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  1. […] Naceur Ben Cheikh le mercredi 20 février 2013 […]

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