Élections démocratiques ou « Moubay’a » ?

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La prudence à caractère méthodologique, dont Béji Caied Essebsi a fait preuve hier soir dans  son interview  accordée aux journalistes de Nessma, lors de l’évocation de la question de La « Char’aya » de la Constituante après le 23 Octobre prochain, est une invite de la part d’un vieux routier de la politique à aborder la question en termes plus humains, en se dégageant nécessairement de la pensée à sens unique fondée sur l’attribution aux mots un sens absolu.

Il y a une opposition radicale, qui interdit toute négociation, entre ceux qui considèrent que  l’Assemblée Constituante est légitime du fait que ses membres ont été élus par le peuple source originelle de tout pouvoir politique et en tant que telle  peut se substituer indéfiniment à ce dernier  et ceux qui relativisent cette légitimité en la limitant à la durée indiquée par la loi dont elle est issue. Dire que la Constituante, à partir du moment où elle est élue dispose d’une légitimité absolue, devenant elle-même instance « légiférante » et donc source de légitimation, c’est oublier, un fait capital. La légitimité  de notre seconde constituante, ne provient pas du fait qu’elle ait été élue par le peuple, mais surtout de la « qualité de ces élections » qu’on ne peut séparer de la loi électorale et des conditions de son application en toute transparence et indépendance. Lorsque Rached Ghanouchi et Moncef Marzouki, déclarent en face du monde entier qu’ils sont les premiers « vrais représentants du peuple tunisien », ils ne se réfèrent pas aux élections elles-mêmes mais aux conditions dans lesquelles elles se sont déroulées. En ne retenant que le résultat des élections, et en déclarant leur légitimité dégagée des conditions dans lesquelles se sont déroulées ces élections, ils n’ont plus rien à redire quant aux chambres d’enregistrement de Ben Ali et même de Bourguiba (le Chef d’Etat) et privent, en conséquence la Tunisie de l’un des deux seuls acquis  de la Révolution du 14 Janvier qui sont, la liberté d’expression et l’organisation des élections par une institution autonome et dans des conditions de transparence jamais atteintes dans nos régions.

D’où l’on comprend  le fait que l’on puisse se permettre de dire qu’au cas où la Constituante, se déclare libérée des conditions édictées par la loi qui  a permis l’élection de ses membres, ces conditions  qui donnent à sa légitimité  une dimension véridique que n’auraient pas tous les élus du peuple depuis l’Indépendance , cela équivaut à une sorte de coup d’Etat qui veut transformer notre Révolution post moderne, en un second 7 Novembre islamique. Le coup d’Etat manqué de Moncef Ben Salem, qui était prévu pour le 8 Novembre 87 serait, dans ce cas, la référence légitimatrice de la prise du pouvoir par Ennahdha le 23 Octobre 2011, en mettant la Révolution entre parenthèse et sa revendication  par Ghanouchi et Marzouki n’est, en fait  qu’une ruse de guerre, pour le premier et l’expression de son révolutionnarisme maladif pour le second.

Comme on peut déjà le constater, par ailleurs, le droit est aussi une question de langue, car en Arabe, la légitimité se traduit par « Char’aya » ou « Machrou’aya », pour parler d’un gouvernement légitime ou bien d’une activité légale, permise par la loi. Alors que légalité est traduite  par « Qanunya » mais également par  « Char’aya » comme la légitimité. Ce flou qui recouvre le vocable arabe de « Char’aya »  pourrait induire dans une situation équivoque peu favorable au véritable échange et donc au dialogue fructueux. D’autant plus que nous sommes, peut-être en présence  d’un conflit non déclaré, entre  deux visions du monde et donc deux visions juridiques, difficilement conciliables. La légitimité démocratique s’ancre dans le pouvoir de l’homme, alors que celle issue de la Chari’a, que les Islamistes sous entendraient, s’ancre dans l’interprétation de la Loi Divine. D’où l’on s’expliquerait le désir de l’actuelle constituante de se dégager de ses origines humaines pour s’instituer en représentant de Dieu sur terre en devenant interprètes des lois divines  et en déclarant que le pouvoir qu’elle détient du peuple relève de la « Mubay’a » et non pas des élections démocratiques et qu’il accorde, en conséquence, au Prince, à vie.

Conseil Supérieur islamique et tribunaux « charaiques » vous dites ? Drôle de ruse que cette promesse intenable de concilier l’Islam intégriste avec la démocratie. Allez vous faire voir ailleurs ,  Monsieur Radhouan Masmoudi.

Naceur Ben Cheikh

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