Une révolution cela pousse, cela ne se transplante pas.

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Lettre ouverte  à mes étudiants et  jeunes collègues plasticiens et poètes.

Il y a près d’une semaine j’ai placardé sur les murs de deux de mes amis sur Facebook, la reproduction photo d’un article que j’avais publié, sous forme de billet, il y a exactement trente ans  dans le supplément culturel du quotidien « l’Action », organe d’expression française du parti au pouvoir du temps de Bourguiba. Vous pouvez en lire le contenu sur la photo qui accompagne ce texte. Il s’agissait d’une réflexion, faite à même, la petite table située dans la  cabine de correction de l’imprimerie du journal, située dans les sous-sols de la Maison du Parti à la Kasbah. Une réflexion, improvisée, pour pallier à la suppression, en dernière minute, pour raison  « normale » de censure, d’un autre billet, estimé tendancieux par le Directeur qui était et reste un ami que je m’estime heureux d’avoir connu, à ce moment particulier de mon existence.

J’ai beau indiquer  la date de parution du billet  en gros caractères, en réutilisant avec plaisir cette couleur rouge drapeau du Néo-Destour de Bourguiba, pour attirer l’attention sur le contenu, aucun commentaire n’a été fait sur cette réflexion sur la poésie qui associait matérialisme et foi et qui en parlant de poésie et d’écriture disait plus, à mes yeux, sur le mode de penser  bourguibien  que tous les discours politiques voulus bourguibistes, faits par les hommes politiques du pouvoir  de l’époque.

Suite à ce constat d’indifférence je n’ai pu que réagir, non pas en recourant à un discours réactionnel, mais en ramenant la question  à l’absence  de dimension critique que l’on peut observer dans la production  de nos jeunes, en matière d’expression artistique, avant comme après la révolution.

Cela m’a, donc,  pris ce matin, sur un coup de colère que je ne regrette point,  parce que ressentie comme légitime. En voici le contenu tel que je l’ai inscrit  sur le mur de mon ami.

« C’est dommage, à l’époque (En 1981)  je ne connaissais pas encore Deleuze, sinon je l’aurais cité, pour pouvoir être crédible auprès de mes étudiants et collègues d’aujourd’hui.

Aimer la Tunisie, c’est d’abord s’aimer entre Tunisiens et non pas Aimer la Tunisie, chacun pour soi.

Dans le chacun pour soi, (même lorsqu’on est apparemment ensemble) la solidarité intéressée entre les « chacun pour soi » ne peut rassembler que des médiocres frileux qui pour ne pas être obligés de se mesurer entre eux, par la saine confrontation entre solidaires mais différents, se refusent à se laisser « réfléchir » comme dans un miroir, en Tunisie et se contenteront de se laisser réfléchir illusoirement dans des miroirs produits ailleurs.

En conséquence de quoi, la réflexion des  Artistes Tunisiens entre eux ne consistera pas à ce qu’ils se réfléchissent les uns les autres, mais à se mettre, en rangées à partir desquelles chacun d’eux ne pourra voir que les dos des autres, sans pouvoir se regarder dans leurs yeux. Dans cette position, ils reprennent, sans le savoir, la position qui leur est imposée depuis l’école coloniale qui oblige chacun d’eux à ne se réfléchir que dans les yeux du maître  situés au point de fuite  d’une perspective  qui place le détenteur du savoir au rang de prophète, et vers lequel tous les regards, en quête de Vérité convergent.

Ainsi l’Utopie nécessaire à la vision décalée à laquelle renvoie l’acte créateur, ne fonctionne plus comme  » Utopie dans la réalité » mais comme Utopie déréalisante, qui nous rend aveugle à notre quotidien et nous empêche de voir notre voisin…de table qui n’est autre que notre concitoyen.

Je viens de commencer une réflexion de et sur  la réalité de ma « communauté » tunisienne » que je n’ai jamais abordée en ces termes

‎.Alors que les raisons qui me poussent à le faire, résident peut-être dans le sentiment que j’ai que la révolution sans amour et sans solidarité créative des tunisiens entre eux ne peut qu’aggraver encore plus, le manque d’immunité, dans lequel la jeune génération se trouve à l’égard de tous les faux prophètes qui investissent le marché des idéologies.

Et dont les prophéties nous promettent toutes des lendemains qui chantent, en prenant d’abord soin de nous rendre aveugles les uns vis à vis des autres.

Une révolution cela pousse, cela ne se transplante pas. Et pour grandir et croître elle a besoin qu’on la réalise dans l’Amour. Comme toute œuvre artistique porteuse de vérité.

A différentier radicalement de celles importatrices de Vérités, produites sous d’autres cieux et dont la « reprise ailleurs », c’est-à-dire chez nous, est à l’origine des échecs auxquels tous les Arabismes, Islamismes, et révolutionnarismes aliénants condamnent toutes les révoltes que l’on a affublées trop tôt de Printemps arabe ».

Essayons, au moins de sauver la nôtre, en la transformant en Révolution.

Et cela ne peut se faire sans Amour.

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