Pouvoir et Création: la théâtrale mise au point de Taoufik Jbali.

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Dans une vidéo publiée sur Internet,Taoufik Jbali déclare  qu’ il ne s’était pas senti oppressé par Ben Ali et que ce dernier, n’était pas, en réalité, un vrai dictateur, mais plutôt un « banditateur » dont le pouvoir « corrupteur » qu’il a exercé sur le peuple tunisien  ne pouvait s’élever au niveau d’une véritable dictature qui aurait, à l’instar de celles de Hitler, de Franco, de Staline, de Mao ou de  Saddam Hussein, une vision politique, dotée de sa cohérence propre. A la différence d’un régime dictatorial, celui instauré, par Ben Ali n’avait ni les moyens  ni l’ambition d’avoir un projet qui aurait, le cas échéant, une dimension culturelle, qui aurait pu s’ériger en obstacle majeur à son activité de création. Il va même jusqu’à dire que Ben Ali constitue en tant que composante de la réalité tunisienne objective, un des matériaux qu’il a utilisés.

Continuant ses « aveux » post-révolutionnaires », Taoufik Jbali, va jusqu’ à afficher sa perplexité, face à une situation à laquelle il ne s’attendait pas et à dire qu’il ne considère  pas, en tant que créateur, le  nouveau contexte, créé par le départ de Ben Ali, comme étant plus favorable à l’activité de création et ne se voit donc  pas assumer la fonction d’artiste de la Révolution.

Pour comprendre, les propos de Taoufik Jbali, il faudrait rappeler, que le rapport au pouvoir de l’activité de création théâtrale, ne se situe pas au niveau du champ politique, au sein duquel se négocient, en termes d’idéologies, les alliances ou les oppositions possibles entre le Prince et l’Artiste. Ce rapport se situe, en fait, au niveau du politique et non pas de la politique. Et à ce niveau du politique, l’instance du symbolique que représente le théâtre est de nature distante et « critique » à l’égard du pouvoir, sans, pour autant, prétendre donner des leçons à ceux qui le détiennent ni  vouloir prendre leur place. La fonction de l’Art et du théâtre en particulier, ne consiste pas à avoir le même rapport au social que celui qui s’établit dans le cadre de la gestion politique de ce dernier. Car, ce rapport au social tel qu’il se révèle à l’œuvre dans l’acte de création artistique, est nécessairement de nature utopique et exprime, paradoxalement et en tant que tel, la dimension cachée et invisible de la réalité sociale et dont la révélation symbolique par l’œuvre d’art, permet à cette réalité d’accoucher de son avenir.

D’où l’on comprend l’attitude, presque sceptique, formulée  en termes courtois mais assez clairement défiants, dont Taoufik Jbali fait preuve à l’égard de certains membres de sa tribu,  dont l’optimisme et le discours teinté d’idéologie révolutionnaire, politiquement correct, n’hésitent  pas à déclarer qu’ils ont toujours souhaité cette révolution.

Q’auraient-ils fait sans l’exploitation du caractère corrupteur du régime déchu et qu’est ce qu’ils feraient, au cas où la Palestine  serait libre, observe l’homme de théâtre tunisien.

A l’analyse, les propos de Taoufik Jbali, posent en fait, une question hautement politique, qui ne concerne pas seulement le monde de l’Art et du Théâtre en particulier. Une question que pose la disparition imprévue d’un pouvoir, objectivement répressif et corrupteur, aussi bien  aux hommes de culture qu’aux hommes politiques, et qui durant la période précédente, avaient misé sur l’opposition au pouvoir politique en place, pour donner sens à leurs « positions ».

Si j’use, à dessein, du terme « position » c’est pour rappeler que tout positionnement par rapport à un fait ou bien à une certaine réalité, ne tire sa légitimité que de « ce par rapport à quoi  celui qui l’opère se positionne ». Quels que soient les risques que pourraient prendre « les preneurs de positions » et « pétitionnaires », ils ne peuvent occulter le fait qu’ils appartiennent, malgré eux, au même système que celui dont ils choisissent d’en être les victimes réelles ou fantasmées.

C’est pour cette raison, que le créateur libre et non l’opposant que Taoufik Jbali s’estime être, avoue dès le départ qu’il ne se sentait pas opprimé par la « bandidatura » de Ben Ali et  qu’il ne sent pas aujourd’hui, plus qu’hier, disposé à renoncer à sa vocation « distante » qui relève du politique et non de la politique.

Naceur Ben Cheikh

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