La philosophie pratique comme résistance à l’abrutissement par Facebook. (2009)

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(Suite à une observation discrète qui m’a été faite sur mon mur, par les administrateurs de Facebook qui m’ont fait remarquer qu’il n’y avait pas de publications récentes de naceur ben cheikh, tout de suite après que j’ai expliqué, à mes étudiants le sens particulier que je donnais à ma pratique de ce jeu)

A une amie qui s’étonnait de ne pas recevoir les points cool que je lui envoyais en  » échange » de ceux qu’elles m’envoyait et qui m’a demandé, avec malice et grande amitié, si je pouvais lui faire comprendre par quelles moyens elle pouvait recevoir les points que je lui dois, j’ai écrit cette réponse:
« je ne sais pas. Je vois apparaitre ton nom sur une liste en haut de laquelle il est écrit envoyer un point cool à… et je clique pour envoyer un point cool à chacun de ceux qui y figurent, y compris toi. Mais,parait-il, qu’il ya des gens qui ne reçoivent pas les points cool qu’on leur envoie. Question de défaillance de serveur ou de moteur de recherche, m’avait on dit lorsque j’avais posé la même question à un ami auquel j’envoyais des points cool et je n’en recevais pas. Pour ma part je m’amuse à détourner ce jeu de sa vocation de course sans fin contre tout le monde, pour en faire une sorte d’installation virtuelle plastique où les chiffres à atteindre n’ont de valeurs que formelle .exp 111 111. 112 211. ou bien 123 456. Cette dernière composition on ne peut la réaliser qu’au niveau de la première dizaine, la première centaine, le premier millier, le premier million et le premier milliard. La combinatoire 112 211, ouvre quant à elle sur 113 311, 114411, 115511, 121121,122 221 etc.Tu remarqueras que l’étape d’après est toujours proportionnellement plus longue. ainsi le jeu de concurrence morbide entre des personnes que l’on suppose cool et qui cherchent à se dépasser les uns les autres, je le transforme en un échange où chacun peut parcourir, symboliquement, un itinéraire aussi symbolique, ponctué de station, de haltes que l’on désigne dans la mystique musulmane par موقف أو مقام. Mais pour ceux qui savent tous les maqâms se valent. La vérité étant un parcours et non pas un lieu fixe, ce qui compte ce sont les intentions qui donnent une dimension responsable à nos actions. اللهم اني نويت ».
Mais,j’avais observé, par ailleurs, que beaucoup de mes étudiants, croyant participer, à leur manière à ce jeu, en acclamant le coureur professeur qui,à 66 ans, tombé en jeunesse, ne faisaient en fait que cautionner une logique de ce jeu que nous avions baptisée le professeur Noureddine El Hani et moi-même du vocable arabe tunisien  » koul wakkel » كول و وكل manges et donnes à manger, sers toi et laisse les autres se servir,dans le cadre de cette morale de l’échange libéral, fondement de l’économie mondiale à l’époque Bush et qui extrapole à l’extrême ce que permet la « morale » américaine, à connotation protestante, au départ, et qui consiste à dire  » Gagner de l’argent c’est vertueux ».J’ai donné, sur le moment des explications sur mon mur et qui sont les suivantes:l
ce jeu points cool est fondé sur l’ambition inhumaine d’atteindre l’infini. ses concepteurs n’ont pas prévu de plafond . Bientôt , ils auront ou bien à créer de nouveaux grades , ou bien à rendre les 51 grades actuels plus difficiles à atteindre (plus chers) .Mais pour rendre cette ambition infinie humaine et réalisable, j’ai choisi de ponctuer cet infini par des haltes ou bien des stations qui sont des chiffres remarquables par leur position formelle et non pas quantitative en relation avec la performance et le désir de l’emporter sur tout le monde ou celui, beaucoup plus agréable de se dépasser continuellement.
J’ai remarqué, également, que beaucoup de personne essayaient de sauver le jeu points cool de sa programmation initiale en en faisant un support d’activités associative socioculturelle de communication ou bien usaient de tous les ingrédients virtuels qui rendaient, aux yeux des promoteurs du jeu, « plus humain », l’échange de points cool, en en faisant une occasion de s’envoyer des ondes positives ou des câlins et des bisous, pour ne pas être dans la situation de personnes « désespérées » qui n’ont plus rien d’autre à faire que d’échanger des points cool.
Il y a lieu de signaler, également, l’attitude de ceux qui, dans cette course ont acquis de l’avance, s’organisent, en cercles fermés, et se protègent désormais contre toute nouvelle demande d’ajout d’amis points cool, confirmant par la même, le caractère fondamentalement aliénant et fantasmatique de ce jeu, qui , si l’on y prend pas garde, nous fait réduire les valeurs d’ouverture et de générosité de l’échange désintéressé qu’il est sensé être, en une pratique cynique insidieuse qui consiste à dominer le monde en invitant les autres à être cool. C’est à dire « souple » dans le sens de « raisonnable » et de « laisses toi faire », comme l’explique si bien le philosophe sociologue allemand, Max Horkheimer, de l’Ecole de Francfort, dans son livre « Eclipse de la raison ». Un philosophe dont la pensée n’est pas étrangère à une certaine mystique judéo islamique bien connue, tout comme Habermas, Benjamin Adorno ou Marcuse. Une pensée, où peuvent se rencontrer Ibn Arabi et Aboulafia ou bien des contemporains comme Jaques Derrida, auquel j’emprunte le titre de cet article, et Abdelkebir Khatibi.

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