A quoi sert l’Union des Artistes Plasticiens ? Depuis quarante ans, c’est de mal en pis

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Il y a une quinzaine de jours, j’ai lu un statut sur Facebook dans lequel, l’actuel Secrétaire Général de l’Union des Artistes a brandi face à des collègues qui ont critiqué la manière avec laquelle  il continue depuis des années à gérer cette « organisation-association »  la menace de recourir à l’application du décret-loi 54, aujourd’hui en vigueur depuis le 13 septembre 2022.

48 ans auparavant, dans une Tunisie que l’on dit aujourd’hui, après la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011, peu démocratique, je me permettais de publier cet article dans lequel je faisais  une critique radicale du rôle que les autorités de l’époque faisait assumer à l’Union des Artistes. Et ce, dans l’hebdomadaire Dialogue, dirigé par Omar Shabou et dont le chef du service Culturel était le Professeur et collègue Ridha Najar. Et la Revue Dialogue n’était autre que l’organe de langue française, aux côtés du quotidien l’Action, du Parti Unique au pouvoir : Le Parti Socialiste Destourien.

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Samedi 25 Octobre 1975, s’est tenue à la Maison de la Culture, Ibn Khaldoun l’Assemblée générale de l’Union Nationale des Arts Plastiques et Graphiques (UNAPG). Une assemblée générale fort attendue, si l’on en juge par le nombre peu habituel des artistes présents, (une cinquantaine) dont certains étaient venus des villes de l’intérieur. La réunion s’est déroulée dans une atmosphère détendue et solennelle à la fois. Le Président de séance, M. Hassan Akrout a tenu à remarquer, en tant que vice-président du Comité Culturel National et représentant à l’occasion Monsieur Le Ministre des Affaires Culturelles, que l’Etat apportait son total soutien aux artistes et à leur organisation. Il a souligné le rôle dynamique d’animation culturelle que l’UNAPG est appelée à jouer , aussi bien dans la capitale qu’à l’intérieur du pays.

Ensuite, le président sortant, en présence des membres de son bureau ainsi que de Messieurs Louati et Klibi , respectivement chef du service des Beaux-Arts au sein du MAC et directeur de la Maison de la Culture Ibn Khaldoun, a lu le rapport moral. M. Zoubeir Turki a particulièrement insisté sur la bonne marche de l’organisation ainsi que sa consolidation continuelle, « ceci malgré les difficultés que lui ont provoquées, pendant un moment , aussi bien l’administration que l’attitude d’une certaine presse ». Ensuite Monsieur Sadok Gmach, Secrétaire Général et Trésorier sortant a lu le rapport financier , en faisant savoir que la somme allouée par le Département des Affaires Culturelles à l’Union est passée de mille dinars à mille cinq cents dinars, pour atteindre cette année, les deux mille dinars.

Les deux rapports ont été approuvés à l’unanimité par l’Asseblée, après quelques discussions portant sur les rapports existant entre l’organisation et le ministère de tutelle. A la question posée par Monsieur Mahmoud Ettounsi à ce sujet, Monsieur Akrout a répondu qu’il n’y avait pas de délimitations précises de ces rapports et qu’on peut dire qu’il s’agit d’une collaboration étroite et fructueuse, concrétisée par la création d’une commission des Beaux-arts dont la majorité des membres est constituée par des artistes plasticiens adhérents de l’Union.

DES ELECTIONS DEMOCRATIQUES

Ensuite a eu lieu l’élection du nouveau président ainsi que celle du nouveau bureau. Trois candidats se sont présentés : Aly Aïssa, Ibrahim Dhahak et Aly Bellagha. Le résultat du scrutin a été le suivant : Aly Aïssa , deux voix, Ibrahim Dhahak, quatre voix et Aly Bellagha,, une quarantaine de voix, écrasante majorité. Parmi les anciens membres du bureau qui ont été réélus , figurent Sadok Gmach, Abdelaziz Gorgi, Hédi Turki et Hédi Selmy. Parmi les nouveaux, on remarque la présence de Mahmoud Sehili, Habib Chebil, Mohamed Ben Meftah et Abdelmajid El Bekri.

L’UNION POUR « QUOI  FAIRE ? »

Créée, il ya sept ans sur l’initiative de M. Tahar Guiga , alors directeur des Arts et des Lettres au Ministère des Affaires Culturelles, l’Union des Arts Plastiques et Graphiques, groupe près de 80 peintres, sculpteurs et graphistes. C’est là, du moins le chiffre avancé par les dirigeants de cette organisation. Dotée d’un statut qui lui confère le rôle important de promouvoir la création plastique dans le pays, elle se veut une plate-forme de rencontres et de collaboration entre les artistes tunisiens de toutes tendances. De par sa situation, au sein des organismes qui veillent à la bonne marche et à la dynamisation de la vie culturelle, elle se présente comme une institution à but non lucratif qui permet au département de tutelle, celui des Affaires Culturelles, de tenir compte, dans les faits, de la volonté des artistes, dont l’Union est censée être le porte parole. Son existence permet à la politique culturelle en matière de promotion de la création artistique de répondre aux besoins réels de la base, (constituée dans cette acception par la majorité des artistes existants) et d’éviter, par la même, de se laisser dans des considérations théoriques et abstraites, surtout en matière de culture.

Voilà quant aux finalités de départ. Elles sont, comme on peut le constater, généreuses. Qu’en est-il dans la réalité des faits ? Examinée sous cette optique, la situation de l’Union nous semble souffrir d’une ambigüité issue d’un ensemble de faits concrets qu’il serait utile d’élucider, dans un souci de clarté et d’efficacité.

Tout d’abord, pour ce qui est de la finalité : depuis sa création, cette organisation n’a pas pu ou n’a pas voulu choisir entre une certaine orientation corporatiste à l’occidentale et des préoccupations plus globales de participation à la promotion d’un art tunisien authentique et signifiant, au sein de la société tunisienne, qui l’adopterait ou, mieux, en ferait un moyen de réflexion et de prise de conscience de soi. Cette ambigüité est aussi la conséquence directe des conditions dans lesquelles cette organisation a vu le jour. En vérité, elle a été le résultat d’un compromis entre les différents intérêts qui étaient et sont encore ceux des « groupes rassemblements » dont l’essence est incontestablement corporatiste. C’est pour cette raison que durant les sept dernières années que vient de vivre ce « super rassemblement » d’artistes, la question autour de laquelle les discussions ont toujours tourné a été celle de la manière la plus équitable de distribuer les commandes ou de partager les « encouragements » que l’Etat prodigue aux peintres faisant partie de ce rassemblement Cet aspect des préoccupations des membres de l’Union pose d’ailleurs au niveau de la définition des critères à partir desquels on décide de l’acceptation   ou bien du refus des demandes d’adhésion formulés par les artistes. Celui du professionnalisme, étant assez vague et difficile à assumer dans une société comme la nôtre, laisse à ceux qui ont le pouvoir de décision une marge d’interprétation souple et large qui présente ses inconvénients, comme ses avantages. Tout en permettant à l’organisation de s ‘adapter aux données du réel et à l’imprévisible, elle ouvre, par la même, la voie à l’arbitraire et aux appréciations partisanes. Ces risques sont encore aggravés par le système « démocratique » à l’occidentale qui est adopté dans les élections qui ont lieu tous les trois ans pour désigner le bureau et le président de l’organisation. Né de la volonté de compromis entre les intérêts de différents groupes et non de celle de promouvoir une culture nationale développée, ce système aboutit , en fin de compte, à une surenchère électoraliste qui devient la motivation de l’action du bureau élu . Et comme on le sait, la référence au plus grand nombre , en matière de culture en voie de développement peut aboutir à des résultats diamétralement opposées  à ceux que l’on pourrait attendre.

En deuxième lieu, il s’agit  de considérer les relations  qui doivent exister  entre une organisation d’artistes , d’un côté et de l’autre, le « ministère de tutelle ». Ces liens n’ont pas été jusqu’ici, clarifiés. Si l’on se réfère  à un manuel de droit administratif , rédigé à l’intention des élèves et étudiants de l’ENA, on remarquera que l’Union des Artistes Plasticiens dépend du cabinet  du Ministre des affaires Culturelles . Etant créée sur l’initiative  de la Direction des Arts et des Lettres, on peut aussi supposer qu’elle relève de la division des Beaux-Arts. Or, dans un rapport, relativement récent, on peut lire ,sous la signature d’un responsable du Ministère des Affaires Culturelles que les rapports entre le Département de la Culture  et les associations d’artistes peintres et sculpteurs s’effectuent par l’intermédiaire du Service des Beaux-Arts du Comité Culturel National. Quelles sont les limites  des prérogatives de chacun de ses organes  qui se proposent tous de gérer  et de promouvoir la création plastique dans le pays ?

Il appartient donc, au nouveau bureau de définir, sur des bases plus concrètes,, aussi bien la vocation de cet organisme que les moyens d’action qu’il compte adopter  pour que l’Union des Artistes Plasticiens joue pleinement son rôle  dans la tâche spécifique de développement culturel à laquelle les artistes tunisiens devraient être « naturellement » attelés.

Pour ce faire, il faudrait que les membres de ce nouveau bureau, choisissent, une fois pour toutes entre l’orientation corporatiste,  à savoir la défense des intérêts des artistes existants, d’un côté  et de l’autre  l’action conséquente  qui consisterait à faire  de cette Union pàrtrait nbc années 70 un instrument efficace d’alphabétisation plastique et de promotion d’un art tunisien développé et signifiant. Se limiter à la vulgarisation de la production actuelle et passée ne nous semble pas avoir donné ses fruits. Les artistes tunisiens ont grand besoin d’un dialogue fructueux, basé sur des considérations artistiques et non pas personnelles ou « personnalisées »

Par ailleurs, une certaine « économie » d’énergie ,au niveau de la gestion des Arts Plastiques dans le pays nous semble nécessaire ; afin d’éviter les « surenchères » entre différents organismes et services , « surenchères » dont la conséquence ne sera pas nécessairement la promotion d’un art tunisien authentique . Nous entendons par AUTHENTIQUE, un art de notre époque et résultant de la compréhension profonde de NOTRE REALITE ACTUELLE.

Une fois cette clarification faite, il va de soi que le statut « juridique » de l’Union sera relégué au second plan. Car, l’essentiel, selon nous, ne réside pas dans les déclarations de principe et la prise en considération des situations exceptionnelles, mais plutôt dans la pratique quotidienne, efficace, consciente de ses possibilités et surtout de ses finalités.

Et ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra lutter contre le phénomène de l’abstentionnisme négateur qui risque de réduire la représentativité d’une telle organisation et laisser la porte ouverte à la bureaucratisation.

Naceur Ben Cheikh

Publié dans la Revue Dialogue du temps où son directeur était Omar Shabou et le Chef de service culturel était Ridha Najar.

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