Lorsque le Ministère de la Culture programme « l’économisation » de la création culturelle !

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Je m’étais rendu compte assez rapidement, que la notion que, dans sa majorité, cette élite cultivée, se faisait, de l’Art et de son enseignement, pourrait se résumer en la croyance en certaines idées reçues, vouant l’art à des fins décoratives, au plus, à des fonctions d’« illustration traduction » de pensées plus ou moins nobles et limitant sa pratique à une chance donnée aux artistes leur permettant de s’exprimer librement.

Il est vrai que l’élite de Sfax n’est pas la seule à colporter cette vision de la création artistique, plus ou moins marquée de reconnaissance concédée.

Mais lorsque cet intérêt pour les arts prend la forme d’« encouragement aux artistes »  et que le  mépris respectueux, du  sponsoring condescendant, se met à se faire passer pour du mécénat, le confusionnisme pourrait atteindre certaines valeurs de base, sans lesquelles la production culturelle en général et celle des arts plastiques en particulier, ne pourraient acquérir leur sens véritable.[1] La nature de l’intérêt des « entrepreneurs » pour la chose culturelle, à travers la pratique du sponsoring, se reconnaît, à la manière, peu discrète, à travers laquelle, les annonces géantes des activités culturelles affichent, sur les vieux remparts, les noms des entreprises sponsors. Souvent cette indication de l’identité du sponsor, qui répond aux fins publicitaires de toute activité de sponsorisation, conformément aux règles en usage dans le monde du sport et de la culture, prend des proportions telles que l’annonce, à caractère culturel, s’en trouve reléguée au second plan.

Il faudrait rappeler, à la décharge de ces entreprises sponsors, que ces dernières ne sont pas les seules responsables de cette situation. Car, tout se passe comme si, au niveau des partenaires artistes ou de leurs associations culturelles ou même à celui du département des Affaires Culturelles, il y aurait un accord tacite qui reconnaîtrait la primauté de l’Economique sur le Culturel. Des exemples précis peuvent être cités, pour illustrer cette acceptation par tous de ce rapport d’échange inégal entre la culture et l’économie ; acceptation à partir de laquelle on soumet la vision  libératrice  de l’activité de création à celle  rentable  de l’industrie culturelle. J’avais, en effet, été invité à assister, en tant qu’observateur, dès les premières semaines de mon installation à Sfax, à des réunions de sensibilisation et de travail, consacrées à ce rapport entre Culture et Economie et au cours desquelles des responsables de l’Administration de la Culture, venus de Tunis, essayaient de motiver les entreprises locales à  l’investissement  dans le secteur culturel.[2] Cela consistait en la présentation d’un certain nombre de suggestions, se rapportant à l’existence de domaines d’activité de production culturelle qui pourraient être économiquement rentables. Cette rentabilité escomptée, c’étaient les agents du Ministère qui essayaient d’en convaincre leurs interlocuteurs, hommes d’affaires et industriels, considérant, peut être, qu’ils sont plus à même de reconnaître les intérêts de ces derniers qu’ils ne peuvent le faire eux-mêmes !

Perçu à travers cette approche, idéaliste à souhait, adoptée par les fonctionnaires de la Culture qui ont commencé par  se mettre à la place  des investisseurs, cet intérêt projeté,  ne pouvait être différent des motivations réelles des entrepreneurs. Il s’agit, dans les deux cas, de la même vision qui pose le comportement, immédiatement  intéressé de l’investisseur non averti,  comme étant indépassable.[3] Cette approche trahit, en fait, la totale méconnaissance des multiples marchés, aux fonctionnements souvent spécifiques et différents,  de ce secteur économique complexe, dans lequel se gère le rapport entre culture et économie. Méconnaissance dont font preuve, aussi bien les hommes d’affaires et industriels frileux  que leurs vis-à-vis, parmi les artistes, leurs associations et les fonctionnaires qui voudraient intégrer  les activités de ces derniers dans le circuit économique

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[1] L’on peut citer comme exemple de cette attitude qui peut nuire à l’instauration de valeurs culturelles, le cas d’un groupe d’artistes de la ville de Sfax qui, chaque année organise une exposition collective en y invitant un des artistes tunisiens de notoriété, en se faisant sponsoriser par un industriel connu. A l’une de ces expositions, la première, je crois, et à laquelle a été convié le peintre Habib Chebil, le sponsor a eu l’honneur de signer un texte de présentation qui suit immédiatement celui du Ministre de La Culture. Mais, estimant que l’honneur qui lui a été accordé n’était pas assez pour compenser le financement de l’impression du catalogue qu’il avait prise en charge, il avait demandé à Chebil de lui « faire don » de l’une de ses toiles exposées. Face au refus de l’artiste, ce dernier s’est vu mettre à la porte de la chambre d’hôtel où il descendait en tant qu’invité.

[2] En fait, l’idée d’intéresser les investisseurs sfaxiens au secteur des industries culturelles a été l’une des premières initiatives du Centre d’Etudes et de Documentation pour le Développent Culturel (CEDODEC), du Ministère de la Culture. Ce centre avait déjà organisé, le 22 Mai 1992, avec la collaboration de la Chambre de Commerce et de l’Industrie du Sud une journée d’étude consacrée au thème « Culture et entreprises : vers de nouveaux modes de financement et d’investissement ». (Réf. Le quotidien Le Renouveau, en date du 22/05/1992, page 15).

[3] La volonté politique d’intégrer la production culturelle dans l’ensemble de l’activité économique, a commencé à faire jour des les débuts des années soixante dix. En 1973, Le Premier Ministre tunisien Hédi Nouira, lors de son inauguration de la première galerie privée, la Galerie Gorgi avait, dans une déclaration, invité les investisseurs privés à prendre le relais de l’Etat dans l’intérêt pour les activités culturelles qui pourraient devenir, elles aussi, lucratives et rentables. On invoquait souvent l’exemple du cinéma égyptien et de l’édition libanaise ainsi que la prise en charge, par les investisseurs du Golfe, de la production de séries télévisuelles égyptiennes

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